SDF

LU AUJOURD'HUI DANS VAR MATIN


Un billet écrit par Jean Marie Rouart écrivain et journaliste, paru le 7/12 dans Nice Matin.
J.M Rouart écrit régulièrement des billets dans ce journal.
Il est le petit fils du peintre Rouart.
Elu à l’Academie Française en 1997.

J’espère qu’il ne m’en voudra pas de reproduire ici son texte si poignant, si vrai, et qui nous touche tellement.

Les SDF nous font peur car leur déchéance, leur saleté, cette condition abjecte qui les enferme dans la pire des prisons, le renoncement à la dignité sociale, elle pourrait être la nôtre.
C'est une réflexion que je me fais souvent. Quel malheur a entraîné ces pauvres hères dans la spirale de l'échec? Quelle fatalité empêche ces noyés de la société de remonter à la surface?
Quel instinct de survie nous retient de tomber à notre tour dans leur abîme?
Je ne sais à quoi imputer leur sinistre sort: à un gène du malheur, à un ADN du désespoir?
Pourquoi tout en s'étant éloignés de nous, de notre mode de vie nous demeurent-ils si proches?
Tout comme nous avons notre riche à qui nous voudrions ressembler si nous gagnions le gros lot de la Loterie nationale ou du Loto, nous avons aussi notre clochard qui nous désespère.
Dans le quartier où j'habite près des Invalides qui n'est certes pas le quartier le plus défavorisé de Paris, je croise à la nuit tombée une jeune femme handicapée dans son fauteuil roulant qui fouille dans les poubelles.
Soudain, parce que son visage est encore avenant et que je la sens encore accessible à la honte, témoignage d’une récente déchéance, son apparition me bouleverse. Je me sens gêné, honteux de sa honte et étrangement coupable. Ce n'est pas la générosité qui me pousse à lui coller dans la main d'un geste furtif un malheureux billet. Je cherche à me libérer d'un fardeau. Et c'est bien inutile : ce fantôme de femme m'obsède. Elle est une énigme, un mystère de la destinée que je ne cherche pas à percer.
Lui parler, lui apporter des paroles de réconfort serait au-dessus de mes forces et ne ferait que m'arracher des larmes bien inutiles.
Qu'importe les causes, l'itinéraire de la déchéance.
Ce malheur-là parle de lui-même.
Point n'est besoin de l'interroger.
Quelle réponse pourrait-il me taire?
Il ne me délivrerait ni de mon impuissance ni de ma pitié.